PRESENTATION
Paris
reçut depuis toujours, entre autres brillants scientifiques,
des icares brésiliens, épris d’ascension,
littérale ou métaphorique. Beaucoup s’y brûlèrent
les ailes, d’autres réussirent, avec plus ou moins de
succès, leurs projets ou leurs rêves. Paris se fit aussi
terre d’accueil, pour des cerveaux fuyant certains régimes
inhospitaliers à l’exercice
de la recherche scientifique en liberté. Le Brésil
attira à son tour nombre de chercheurs français en
quête de domaines inexplorés ou de réponses
nouvelles, le regard ouvert à l’altérité
ou lesté de préjugés.
Passages
de Paris poursuit
son travail, consistant à tisser des passerelles entres ces
deux mondes. Le dossier de notre deuxième numéro a pour
thème la science, hier, aujourd’hui et demain.
Notre
interviewé est le
Professeur Roberto Aureliano Salmeron, l'éminent chercheur en
rayons cosmiques, au courageux parcours personnel, intimement lié
à l’histoire récente du Brésil - Premier
directeur des instituts de Physique et de Sciences à
l’Université de Brasilia, Salmeron, avec d’autres
professeurs, fit le choix éthique de renoncer à son
poste par solidarité à des collègues expulsés
par le régime militaire. Ayant perdu les conditions de base
pour poursuivre ses recherches au Brésil, il dut s’exiler
en Suisse et ensuite en France, mais garda des liens très
proches avec son pays.
Notre
dossier s’ouvre avec le discours du Professeur Salmeron,
prononcé le 19 octobre 2005, jour où l’Université
de Brasilia lui accorda le titre de Doctor Honoris Causa, précisément
quarante ans, jour pour jour, après la date de sa démission.
Un
autre anniversaire. L’année
2006 célèbre le centenaire du premier vol homologué
de l’histoire de l’aviation, celui du “14bis”
de Santos Dumont. L’article de Henrique Lins de Barros nous
présente les données biographiques de ce génie
brésilien et des créations qui lui assurèrent
une rénommée mondiale. L’article nous aide à
comprendre la polémique autour de la “paternité”
de cette invention qui changea définitivement l’histoire
de l’humanité.
L’histoire
de la conquête de l’air
était déjà emplie de
personnages brésiliens. L’article de Luis Carlos Bassalo
Crispino raconte le périple de Julio Cezar Ribeiro de Souza,
qui développa une théorie sur la navigation aérienne
basée sur les vols planés des oiseaux en 1881. Après
un premier essai réussi avec son ballon à tests
Victoria au Brésil, puis en France, l’expérience
avec un grand aérostat échoua, en tout premier par
manque de moyens financiers. Ce qui empêcha l’inventeur
paraense d’être considéré comme le
premier à réaliser un parcours fermé à
bord d’un ballon, titre obtenu le mois suivant par les
capitaines français Renard et Krebs, avec un ballon présentant
la structure fusiforme dissymétrique originalement proposée
par Ribeiro de Souza. Encore une polémique à découvrir
dans ce numéro, en plus de la redécouverte de cet
inventeur qui consacra sa vie à la passion scientifique.
Vient
ensuite l’article de Rosa Helena de Santana Girão de
Morais, à nouveau dans le domaine de l’histoire de la
science, qui nous parle de l’expédition de médecins
français au Brésil, au XIXème siècle, en
quête de traitements efficaces pour les maladies tropicales -
en particulier la fièvre jaune, qui ravageait les colonies
françaises. L’auteur montre combien leur point de vue
était teinté d’un lamarckisme social en accord
avec l’entreprise coloniale européenne.
De
nos jours, un domaine où les chercheurs brésiliens
obtinrent des résultats remarquables demeure celui de
l’énergie nucléaire. Le Brésil fait partie
aujourd’hui d’un groupe très restreint de pays qui
détiennent la technologie pour enrichir l’uranium. Les
centrifugeuses développées au Brésil sont
aujourd'hui les plus performantes au monde, grâce au travail de
plusieurs chercheurs. L’article d’E. Migliavacca et D. A.
Andrade vient apporter sa contribution dans ce domaine.
Dans le domaine de
l’ingénierie encore,
le travail de Silvio de Barros porte sur une technique d’assemblage
très ancienne, de plus en plus utilisée dans
l’industrie. Dans cet article, le collage est étudié
sous son aspect mécanique. Un modèle numérique
pour le projet de structures collées y est proposé.
Deux articles
d’odontologie font
aussi partie de ce dossier. Le premier présente
une étude réalisée par Sally Lacerda Pinheiro,
Dominique Septier, Michel Goldberg et Hélène Chardin,
sur des molécules responsables du recrutement et de la
différentiation cellulaire impliqués dans le
développement dentaire. Dans le deuxième
article, Roberto Pinheiro Jr. propose une technique alternative
concernant le moment critique du traitement de la malocclusion, à
travers deux études de cas.
Dans le champ de la
médecine, Tânia
Maria Sih nous présente une mise à jour du savoir
médical sur l’otite externe et les possibilités
de prévention de cette maladie, d’une érudition
et d’une clarté remarquables.
L’article
de Jayme Murahovschi et Valdemir Tofolo concerne un diagnostic
rarement évoqué dans la pratique et la littérature
médicales – en particulier, en Amérique Latine:
le Syndrome de Munchausen par procuration, qui consiste en une fraude
généralement perpétrée par une mère
psychiquement troublée. L’attribution précise de
ce diagnostic est fondamentale pour éviter des abus sur des
enfants, pouvant aboutir à leur mort. Cependant, il faut être
vigilant pour ne pas tomber dans l’extrême opposé
: la négligence de vraies maladies, en raison de possibles
préjugés des médecins envers la parole des
mères.
Un
autre article de Henrique Rattner conclut ce dossier par une analyse
sur l’impact des progrès techniques sur le développement
de la société. Prenant les progrès de la
nanotechnologie comme point de départ, l’auteur ouvre
une large discussion à propos des politiques de science et
technologie.
La rubrique
Varia débute
par un texte de José Mauricio Saldanha Alvarez, qui analyse
l’oeuvre du peintre Antonio Diogo da Silva Parreiras
(1861-1937), à partir de son récit autobiographique: la
construction de sa propre image de peintre, en tant que travailleur
libre dans une société esclavagiste, où
le travail manuel est considéré comme un déshonneur.
Sandra
Reimão nous propose une étude sur le profil des
préférences des lecteurs brésiliens concernant
les livres de fiction dans les années 90, avec un regard
particulier sur les rapports entre littérature et télévision.
Adail Sobral, inspiré de la théorie dialogique de
Bakhtin, nous livre ses réflexions sur la diversité
linguistique, sans oublier le contexte social et historique.
La
lecture de l’article de Jean-Michel Robert, en plus d’être
stimulante, pourra nous épargner beaucoup de malentendus et
situations gênantes: l’auteur nous parle des problèmes
d’incompréhension entre Brésiliens et Français,
dus à l’implicite dans la communication, qui diffère
dans les deux cultures. L’étude de
Francisca das Chagas Caetano-Rousselot porte aussi sur des questions
linguistiques, mais du côté de l’apprentissage du
portugais, langue étrangère; l’auteur met en
évidence des points en commun entre les théories
vygotskiennes et l’approche communicative et montre que le
travail en binôme augmente le potentiel communicatif des
apprenants en langue étrangère.
Lilian
de Lacerda écrit sur des récits autobiographiques de
femmes du XIXème et du XXème siècles, au Brésil,
riche univers de la mémoire collective, menacé de
disparition par l’oubli ou par d’autres supports et
langages considérés comme plus rentables de nos jours.
Maria Alice Aguiar analyse un autre univers, celui évoqué
par le grand poète João Cabral de Melo Neto, autour des
marges du fleuve Capibaribe, avec ses marais, ses “favelas”
et les drames des migrants qui essayent de fuir la misère et
la sécheresse. Angélica Soares met en rapport poésie
et écologie, dans un exercice critique écoféministe
sur la mise sous silence des femmes, à partir des oeuvres des
Brésiliennes Helena Parente Cunha, Adélia Prado, Marly
de Oliveira et Myriam Fraga.
Quant
à L’Autre, dans l’article d’Alamir Aquino
Corrêa, c’est l’étranger, l’immigrant,
que la culture urbaine absorba de façon anthropophagique, à
l’image du concept Moderniste. Dans cette perspective, sont
étudiés deux auteurs de contes brésiliens
(Ricardo Ramos, du Nord-Est du Brésil et Samuel Rawet,
d’origine judéo-polonaise) qui construisent des
personnages d’immigrants perdus dans la machine urbaine, rêvant
de leurs origines, tout en essayant d’acquérir une
nouvelle identité.
Regina
Helena M. A. Corrêa examine la traduction en anglais, en
français et en espagnol de certaines expressions dans l’oeuvre
de Jorge Amado, dans la perspective de la théorie de Venutti,
pour qui la traduction est une manière d’éviter
que des cultures centrales effacent des cultures périphériques
et par conséquence l’altérité.
Enfin,
Manuel Antonio de Castro nous livre une analyse en profondeur du
conte “Rien et notre condition”, de Guimarães
Rosa, où il est question de littérature, d’ontologie
et de “sonorité du silence”.
Il
faut rappeler encore que la rubrique Autres Regards a été
enrichie de plusieurs références en matière de
sites internet et autres revues électroniques.
Nous vous souhaitons
une bonne lecture et attendons vos opinions et suggestions.
Sílvio
de Barros, Eva Landa et Rodolpho Bastos
|